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L'impossible amour -1-

10 avril 2008

Sommaire

L'impossible amour

blog : limpossibleamour -1-

Chapitre 1 - La révélation

Chapitre 2 - La rencontre

Chapitre 3 - Projet à San Fransisco

Chapitre 4 - L'approche

Chapitre 5 - Un concours parmi tant d'autres

Chapitre 6 - Pour Pâques

Chapitre 7 - Les amis

Chapitre 8 - Côte sauvage

Chapitre 9 - Elle et eux

suite sur blog limpossibleamour -2-

Chapitre 10 - Genève

Chapitre 11 - Drouot

Chapitre 12 - Week-end à Salers

Chapitre 13 - Stress

Chapitre 14 - Le doute

Chapitre 15 - Une soirée tranquille

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30 octobre 2006

Chapitre 1 - La révélation

-          Tu le savais ? Comment avais-tu deviné ?

-          L’intuition féminine, Bertrand. Tout simplement.

Nos regards s’accrochèrent. Y passa toute notre affectueuse connivence, faite d’amour, d’amitié et de tendresse.

Ainsi Hélène avait compris depuis longtemps. Je croyais que je venais de me trahir, mais il y avait longtemps que je me trahissais, sans m’en rendre compte. L’intuition féminine… j’en avais entendu parler, mais je n’avais jamais vraiment cru à son existence.

Allongé sur le lit, à côté d’Hélène, je suivais le vagabondage de mon esprit. Celui d’Hélène vagabondait aussi, sans doute, mais certainement pas vers les mêmes horizons. Une chose était sûre : rien ne serait plus comme avant.

Donc, Hélène savait, et elle ne m’avait rien dit, rien laissé paraître. Il me vint l’idée qu’en cela, elle était devenue ma complice, en quelque sorte. Elle aurait pu me rejeter, maintenant, me dire qu’elle ne voulait plus de moi, et elle ne le faisait pas. A cet instant précis, je sentis que notre amour s’enrichissait, prenait une autre dimension, une autre définition, en quelque sorte.

Depuis longtemps, je pensais au moment où il faudrait avouer, dire la vérité. Et toujours je repoussais ce moment, toujours je ravalais les mots de l’aveu. Et puis en cette soirée de printemps, le besoin de faire jaillir la vérité, de la faire éclater au grand jour, avait été le plus fort. Pourquoi à ce moment précis ? Je n’en sais rien. Il faudrait pouvoir se rappeler, maintenant, la conversation que nous avions juste avant, se rappeler ce qui avait amené la révélation. Aujourd’hui, je ne sais plus.

Hélène restait silencieuse, à côté de moi sur le lit. Dans mon esprit passaient des images de ma vie, des lieux, des visages. J’avais vécu, ces dernières années, des moments forts, intenses, intimes.

Hélène, elle, c’était la douceur-même. Beaucoup plus réservée que moi, plus discrète, plus pudique. Ces traits de caractère, elle les avait conservés, bien que la vie l’ait quelque peu endurcie.

Un premier changement s’était produit dans notre vie trois ans auparavant, lorsque Hélène avait repris une activité professionnelle. Le laboratoire où elle travaillait déjà, avant cette interruption de trois années, l’avait contactée pour lui proposer un emploi. Après un entretien d’embauche de principe –il semble qu’il s’agissait surtout de justifier la non-compétence des autres candidates-, elle avait accepté le poste : chef de produit pour une ligne de cosmétiques. Une belle promotion, depuis son dernier emploi dans cette entreprise.

Elle y avait retrouvé avec plaisir ses anciennes collègues. Peu à peu, elle s’était prise au jeu des responsabilités, à ce nouveau challenge, et elle ne comptait plus le temps passé à son bureau. Notre vie en avait été un peu perturbée, au début, mais nous l’avions rapidement organisée et aménagée en conséquence.

Le lendemain de cette soirée mémorable, où j’avais fait ma révélation, qui n’en était pas vraiment une, le lendemain de cette soirée où j’avais fait connaissance avec l’intuition féminine, la vie continuait comme avant. Du moins en apparence. J’étais toujours amoureux d’Hélène, et je ne pensais pas cesser un jour de l’être. Elle était la seule fille avec qui j’avais jamais vécu. Néanmoins, au fils des semaines et des mois, notre amour se métamorphosa, tout en conservant ce qui faisait ses fondations : séduction réciproque et complicité muette.

30 octobre 2006

Chapitre 2 - La rencontre

Tout avait bien commencé, pourtant, et à trente ans ma réussite était totale. J’avais une profession honorable : architecte, une femme charmante et mignonne, brune, le teint mat illuminé par de pétillants yeux bleus.

Notre rencontre, à Hélène et moi, remontait à quatre ou cinq ans. Je rentrais de San Francisco, où j’avais travaillé à l’aménagement d’une villa pour des amis français, et j’étais sur le point de partir en Egypte, pour un projet de complexe hôtelier à Louxor, au bord du Nil.

Je rentrais de mon bureau à pied, par une rue aux trottoirs étroits. Une jeune femme, qui marchait vers moi, s’arrêta soudain, s’exclamant : « Quelle saletés, ces chiens ! ».Elle venait de poser le pied sur quelque chose de flasque. Ses lèvres, délicatement soulignées de rouge, avaient une moue surprise et dégoûtée. Je me sentis tout de suite en accord avec cette jeune femme : moi aussi, je pestais souvent contre les déjections des chiens, que les ramasseurs de crottes, juchés sur leurs motos, ne parvenaient pas à éliminer suffisamment vite et partout. Le sens civique se perdait !

Descendant du trottoir pour laisser passer celle dont je ne soupçonnais pas encore qu’elle allait entrer dans ma vie, je ne put m’empêcher de penser à haute voix : « Oh, comme vous avez raison, Mademoiselle ! »

C’est alors que, rougissant de ses propos, elle prit conscience de ma présence, et que nos regards se croisèrent. J’étais déjà comme envoûté par son parfum et hypnotisé par ses yeux. Comment une femme pouvait-elle être si jolie, si fine de visage ? Nous sommes restés ainsi un long moment, c’est du moins ce qu’il m’a semblé, en éternité. J’ait muet d’admiration, fasciné par le bleu de ses yeux. Je me ressaisis. Elle portait une robe rouge. Ses cheveux bruns, coupés au carré, encadrait un visage régulier. Je me dis que je ne pouvais pas rester plus longtemps près d’elle, ou j’en perdrais la tête. Pourtant, j’avais encore la force de parler.

-          Si vous voulez ôter votre chaussure, je vais vous la laver, à la fontaine à côté.

Et sans attendre sa réponse, je m’approchai d’elle.

- Prenez appui sur mon épaule, si vous le désirez.

Ce qu’elle fit, sans hésiter.

L’incident réparé, elle me remercia, en me souriant pour la première fois. Elle s’apprêtait à poursuivre son chemin, quand je m’entendis lui dire :

-          Nous pourrions prendre un verre à la terrasse du café, pour vous remettre de cette mésaventure ? Je me ferais un plaisir de vous l’offrir.

Elle accepta sans se faire prier.

Elle m’apprit qu’elle revenait d’un séjour touristique aux Iles Pontines, au-delà de Capri. Elle connaissait bien l’Italie, dont elle parlait couramment la langue. Moi je lui parlai des pays que j’avais visités, lors de mes déplacements professionnels ou pour les vacances. Elle se montra vivement intéressée par l’Egypte, où elle avait prévu de se rendre, l’été prochain ou le suivant, avec des cousins. Je lui parlai du Nil et de sa vallée. Je lui racontai que les temples, dont les portes sont orientées vers le fleuve, sont pour la plupart consacrés au culte d’Isis et de son époux Osiris, le dieu du Nil, qui féconde la terre nourricière. Hélène buvait mes paroles.

-          Vous me faîtes envie, dit-elle, avec toutes vos descriptions.

A son tour, et avec une animation croissante, elle me parla de Pouza, le domaine des pêcheurs d’espadon et de langouste, une petite ville construite en amphithéâtre, au creux d’une magnifique baie naturelle dominée par le mont Guardia.. Hélène me décrivit l’architecture classique des bâtiments publics de Pouza, qui contrastent avec les petites maisons peintes en jaune, bleu et rose, presque grecques avec leur toit en coupole, et qui se pressent au pied des collines taillées en terrasses.

Nous nous quittâmes sur une franche poignée de main, les doigts brûlants, après avoir échangé nos coordonnées, en nous promettant de nous revoir.

De retour dans mon logement, à proximité du boulevard Saint-Michel, j’eus beaucoup de mal à m’endormir, cette nuit-là. Dans un demi-sommeil, je voyais une robe rouge abandonnée à côté du lit, et des cheveux bruns sur mon épaule. La semaine suivante, Hélène me rappelait.

Un peu émus, nous nous sommes retrouvés devant un plateau de fruits de mer chez Hansi, une brasserie face à la Gare Montparnasse : huîtres de Bretagne, bulots, oursins et tourteaux, l’ensemble arrosé d’un Muscadet bien frais. Lors de cette soirée, nous avons fait plus amplement connaissance. Nos origines –elle de Rennes, moi de Lyon- furent évoquées, nos passés réciproques survolés, et nos présents approfondis.

Hélène était la troisième d’une famille de quatre enfants. Elle avait grandi dans l’univers douillet et sécurisant d’un père fonctionnaire. Mais, pudique, elle ne se dévoilait que par bribes, par miettes, comme si elle voulait laisser mon imagination combler les vides. Pour ce qui me concerne, ma langue se déliait, aidée sans doute par le Muscadet. En peu de temps, Hélène connut l’essentiel de mon passé : une enfance heureuse, celle d’un fils unique, au sein d’un milieu modeste, fruit de parents ouvriers habitant un quartier populaire de Lyon.

Tout s’était déclenché après mon bachot. Ce diplôme fut comme le sésame pour accéder à la vie, à l’indépendance. Mes parents subvenaient à mes besoins, mais j’améliorais mes revenus en travaillant comme garçon de café pendant les vacances.

Depuis toujours, j’étais passionné par le bâtiment et la construction, les plans de maisons et leurs décors. En toute logique, je m’étais inscrit dans une école d’architecture, à Paris. Durant cette période de vie estudiantine, je découvrais la vraie liberté, même si je n’avais jamais réellement eu de conflits avec mes parents. Paradoxalement, cette liberté consistait à sortir peu et à beaucoup travailler. J’obtins mon diplôme d’architecte avec mention et avec un prix.

Hélène était elle aussi en parfaite adéquation avec son milieu professionnel. Ses études terminées depuis peu, elle avait intégré le département cosmétiques d’un grand groupe pharmaceutique. Avec des médecins et des chercheurs dans diverses disciplines, au sein d’un groupe de huit personnes, elle était l’un des maillons d’une chaîne qui travaillait à la mise au point d’un nouveau produit pour les peaux intolérantes à certaines lotions démaquillantes. Ses rares moments de liberté, elle les occupait à des sorties au cinéma avec des amis. Elle pratiquait aussi le farniente et la lecture, sur un transat au milieu de son salon, ou bien sur le balcon ensoleillé de son petit appartement aux Buttes-Chaumont.

Pendant notre conversation, je sentis que ses yeux et son parfum produisaient sur moi le même effet que lors de notre première rencontre : j’étais subjugué. Et j’essayais de ne rien laisser paraître.

Nous dînions face à face, nous regardant sans cesse, en souriant. Nous étions uniquement occupés l’un de l’autre, ignorant le brouhaha de la vaste salle du restaurant, pris tous deux dans le charme d’un amour débutant. A un certain moment, je heurtai légèrement l’un de ses pieds sous la table. Je le pris entre les miens et le gardai, le serrant de toutes mes forces. Nos regards se mélangeaient . Je voyais la vie en bleu. A la fin du repas, nos mains se rejoignirent et nos bouches se rapprochèrent pour un discret et tendre baiser. Puis nous nous regardâmes à nouveau, en souriant et sans dire un mot.

Après avoir raccompagné Hélène jusqu’au pied de son immeuble, je poussai un cri de joie dans la rue déserte, le cœur rempli d’espoir : j’étais amoureux ! C’était une sensation confuse et troublante, exquise, merveilleuse, toute nouvelle pour moi.

30 octobre 2006

Chapitre 3 - Projet à San Francisco

C’est la sonnerie du téléphone qui m’avait réveillé. Après un instant de flottement, je me souvins que j’étais dans une chambre d’hôtel, à des milliers de kilomètres de Paris. Ma main, partie à la recherche du combiné, renversa quelque chose sur la table de chevet et parvint finalement à décrocher.

-          Bertrand ?

-          Salut, c’est Laurent !

                            D’une voix pâteuse, je réussis à articuler :

-          Quelle heure est-il ?

-          Midi.

Pas une raison pour être dérangé, même par Laurent. Cela ne faisait jamais que quatre heures du matin à Paris. Je sentais dans tout mon corps la fatigue accumulée par le voyage, le décalage horaire et la cuite du soir précédent, avec des amis, avant de prendre le vol pour San Francisco.

Mon cerveau, lentement, se désembrumait.

-          Je pensais t’inviter à déjeuner, dit Laurent. Je suis au bar de ton hôtel. Je t’attends en bas.

Vingt minutes et une douche chaude plus tard, j’étais face à Laurent. Vêtu de noir, en jean Levi’s et polo Lacoste à manches longues, il avait toujours la même élégance austère. Une longue embrassade scella nos retrouvailles au milieu du bar.

Laurent était un ami de longue date. Nous nous étions rencontrés chez une connaissance commune, lors d’une soirée entre étudiants. Après son bac scientifique et une année de touche-à-tout, il avait trouvé sa voie dans la médecine. Nous nous étions revus régulièrement pendant quelques temps, puis, pour des raisons économiques et d’amitié réciproque, nous avions décidé de partage un même logement, un grand studio près de Beaubourg, au cinquième sans ascenseur.

Nous avions la même corpulence, ce qui nous permettait d’échanger nos vêtements. A toi, à moi, peu importait. De cette façon, chacun de nous avait doublé sa garde-robe en un week-end.

Nous sortions peu, mais toujours entourés d’un harem, tant masculin que féminin. De tous, nous étions ceux qui possédaient le plus grand appartement. Les soirées débutaient, assis à même le sol, autour d’une bouteille de whisky, à refaire le monde. En la personne de Chris, nous avions trouvé notre greffier : il prenait des notes pour un futur ouvrage qu’il souhaitait écrire et qui s’intitulerait « Projets utopiques ».

A mesure que le niveau de la bouteille baissait, la discussion s’animait et les corps, pris de lassitude, s’étendaient sur les coussins. Des amitiés particulières naissaient, au fil de la soirée, et se prolongeaient souvent jusqu’à l’aube. Pendant près de quatre années, Laurent et moi avions vécu ainsi.

Une été, pour les vacances, nous sommes partis à San Francisco. L’année suivante, sur un coup de tête, Laurent décidait de plaquer ses études de médecine et de partir rejoindre ce grand village, terminus de tous les bons westerns et devenu la métropole la plus européenne et la plus asiatique des Etats-Unis.

-          C’est ma terre promise, se plaisait-il à dire.

Ce fut pour moi un rude coup. Je venais de m’installer à mon propre compte, en mettant en place mon atelier d’architecture. Comme beaucoup de mes confrères au début de leur activité, je vivais essentiellement de sous-traitance. Je n’eus pas la force de quitter toutes les relations nouées depuis mon arrivée sur Paris, sept ans auparavant, même si j’aimais beaucoup Laurent. La mort dans l’âme et le cœur déchiré, nous nous séparâmes, sans amertume, sans rancune.

Depuis deux ans maintenant, Laurent vivait à San Francisco avec Rick, propriétaire d’une importante concession automobile. C’est naturellement à moi qu’ils firent appel lorsqu’ils eurent décidé l’achat en commun et la rénovation complète d’une maison de style victorien sur une colline de San Francisco.

Laurent m’avait appelé, deux semaines plus tôt, pour me faire part de leur projet. Il m’avait envoyé des photos de la maison qu’ils avaient en vue, et un croquis faisant office de plan. Sur la lettre d’accompagnement il avait ajouté : « A toi de jouer, mon Le Corbusier adoré ».

Ainsi donc, pour la deuxième fois de ma vie, je débarquais dans cette ville, fasciné à nouveau, comme tous les voyageurs, par les reflets du soleil sur les façades victoriennes et dans les vitres des gratte-ciel.

Laurent m’expliqua comment, avec son ami Rick –que je ne connaissais qu’en photo-, ils avaient décidé de sceller leur amour par un investissement commun. Ils avaient jeté leur dévolu sur un cottage en bois et briques revêtues de stuc, dans le quartier de Western Addition.

Il me racontait tout cela, pendant que j’avalais un remarquable steak tartare, arrosé d’une eau minérale locale. Lui oubliait de manger. Il était surtout impatient de me montrer la maison de ses rêves, objet de ma mission ici, à San Francisco..

Une fois sur place, je fus immédiatement saisi par l’harmonie des couleurs des boiseries extérieures. Certes, elles auraient mérité un rafraîchissement, mais en conservant toute l’intensité des tons employés à l’époque victorienne. L’ensemble de la construction reposait sur une minuscule parcelle, avec un accès principal direct depuis la rue. Sur l’arrière, il y avait un jardinet. Actuellement envahi par les mauvaises herbes, il pourrait devenir un havre de fraîcheur et de détente fortement apprécié en plein centre-ville.

La maison était inhabitée depuis de nombreuses années et l’intérieur était très défraîchi. Il y avait une odeur de renfermé, omniprésente. A peine avions-nous fait quelques pas dans le hall d’entrée que Rick nous rejoignait.

Les présentations faites, Laurent me dit :

-          A toi de jouer, maintenant :

Sans prononcer un mot, j’allai d’une pièce à l’autre, prenant quelques notes. Laurent savait qu’il fallait me laisser seul, dans ces cas-là. Nul ne devait me distraire pendant que je m’imprégnais de cette bâtisse. Lui et Rick s’éclipsèrent par la porte de derrière, vers le jardin. J’oubliai tout de suite leur présence. J’étais dans mon élément. Je montais, je descendais l’escalier, j’ouvrais une fenêtre, afin de juger une perspective extérieure, je prenais quelques photos. Sur mon inséparable carnet de croquis, je griffonnais des impressions. En quelques traits de crayon, je traduisais une idée d’aménagement.

Extérieurement, il n’y avait rien à changer. D’ailleurs, en aurions-nous l’autorisation ? J’en doutais. A l’intérieur, par contre, il convenait de tout remodeler et restructurer les espaces et les volumes. Un réelle travail d’architecte.

Je rejoignis enfin Laurent et Rick dans le jardin.

-          Vous ne pouvez pas vivre là-dedans, dis-je, comme soudain sorti de ma bulle. L’ensemble des installations est obsolète, le cloisonnement des pièces est incohérent. Il faudrait revoir tout l’aménagement et l’harmoniser avec votre façon de vivre.

-          A toi de voir et de proposer, dit Rick.

-          C’est un défi ? Vous me laissez combien de temps, pour établir un avant-projet ?

-          Quarante-huit heures, pas une de plus, dit Laurent, l’air fier de lui.

Je le regardai, interloqué.

-          Ne t’inquiète pas, dit-il, nous avons tout prévu. Nous t’hébergeons, ce sera plus sympa qu’à l’hôtel. C’est petit, chez nous, mais il y a une chambre d’amis. Je t’ai fait un bureau avec une planche posée sur deux tréteaux. Et j’ai acheté une lampe d’architecte, tout spécialement pour toi !

-          Je n’ai pas le choix… ?

-          Pas vraiment, dit Laurent, en souriant. Nous attendons ton projet pour nous décider et signer chez le notaire.

-          D’accord, les gars, je suis à vous, et seulement pour quarante-huit heure, en effet. Vendredi matin, à dix heures, j’ai un important rendez-vous de chantier, pour une école. On est arrivé à une phase critique des travaux, et je dois rencontrer le maire, pour des choix de teinte.

Laurent et Rick se jetèrent un rapide coup d’œil complice et, d’un commun élan, ils me prirent dans leurs bras pour une accolade générale.

-          Nous savions bien que tu accepterais, dit Laurent. Tiens, je te donne les clefs.

-          Merci. Je reviendrai demain matin pour faire un relevé précis du bâtiment.

-          Moi je vous laisse, dit Rick. Les clients m’attendent ! A ce soir ! Et soyez sages, ajouta-t-il, en riant aux éclats.

-         

Rick parti, Laurent me regarda fixement.

-          Alors, comment tu le trouves ?

J’étais conscient du rictus qui animait mes lèvres.

-          Un peu fou, votre projet, mais ça devrait faire un endroit agréable à vivre.

-          J’te parle de Rick !

-          Ah, pardon, je n’avais pas bien compris. Bon… euh… il est beau garçon, si c’est ce que tu veux savoir.

Je ne souhaitais pas m’étendre sur le sujet.

-          J’ai besoin de m’aérer l’esprit, maintenant. J’ai hâte de redécouvrir la ville.

-          Bien sûr, dit Laurent, en faisant virevolter les clefs de sa Cherokee. Allez, en voiture !

Je refermai la porte de la maison. Elle serait toute à moi pour quarante-huit heures. Je mis la clef dans ma poche. Maintenant, je détenais la clef du bonheur de Laurent et de Rick. La clef de leur paradis. Un paradis dont je ne serai l’hôte que très ponctuellement.

Parvenus au centre ville, nous nous mîmes à arpenter les rues en nous tenant par le bras, avec cette complicité entre hommes qui n’étonne personne, à San Francisco.


30 octobre 2006

Chapitre 4 - L'approche

La vie professionnelle m'avait tenu éloigné de Paris.

Durant les quelques jours passés dans la capitale, je ne décollais pas de mon bureau.

La compétition était rude. Même si les projets affluaient, il convenait toujours d'être prudent. Un gros projet remis en question et c'était toute la trésorerie du bureau qui flanchait d'un seul coup.

En rentrant d'un déplacement sur Lyon -ville dans laquelle grâce à un excellent réseau de connaissance, j'avais quelques projets-, je découvrais un message sur mon répondeur téléphonique.

-          Ici Hélène. As-tu bien digéré les huîtres ? Moi ça va, merci d'avance. A très bientôt….mon rayon de soleil. Gros bisous.

A mon tour j'entendais sa douce voix sur le message d'accueil de son répondeur. J'aurais préféré un son en direct ! Néanmoins, je rassurais Hélène quant à ma digestion et lui demandais de me rappeler à toute heure du jour ou de la nuit.
Deux jours plus tard, nous nous rencontrions.

C'était un vendredi soir et aucun de nous deux ne travaillaient le lendemain. Enfin, pour une fois, je faisais une exception et ne me rendrais à mon bureau que durant l'après midi.

Un rapide dîner à Planet Hollywood sur les Champs Elysées précéda une longue attente pour une séance de cinéma. Impatient comme des enfants, nous décidâmes de boycotter le cinéma et traversant les Champs, nous nous retrouvâmes assis autour d'une table du Fouquet's, juste en face.

Nos GET 27 en mains, Hélène me posait mille questions sur mes derniers déplacements, notamment à San Francisco.

Avides de voyage, elle se sentait frustrée dans son travail de n'avoir que de trop rares occasions de mouvements, essentiellement en province, pour l'instant …

Pour ma part, je lui exprimais le désir de découvrir sa région d'origine, la Bretagne, puisque paradoxalement compte tenu de la distance depuis Paris, je ne m'étais jamais rendu dans cette région française.

Hélène aimait sa ville natale et savait faire partager cet amour pour cette gracieuse capitale située sur les bords de la Vilaine.

-          Rennes s'ouvre sur le monde. C'est une capitale de région, un pôle universitaire possédant un important centre de recherche, m'indiqua-t-elle.

-          Explique-moi un peu plus…

Connaissant mon goût pour l'architecture, Hélène m'apprit qu'en réhabilitant le patrimoine architectural, la municipalité avait rajeuni le paysage urbain, autrefois grisâtre, du Rennes historique.

Pressée par mes questions, elle me raconta la vaste campagne de rénovation des maisons datant du Moyen-Age, dans le quartier Champ-Jacquet, autour de la place du même nom entre les halles et le palais du département. Ce programme avait touché plus de mille immeubles, d'où émerge la cathédrale St-Pierre.

Avec passion, Hélène me décrivit l'architecture un peu austère et uniforme des maisons de granit bordant de belles rues rectilignes. L'ensemble avait été élaboré par un architecte parisien après le terrible incendie du début du XVIIIème siècle ravageant tout le centre ville pendant cinq jours et cinq nuits.

Un réel désastre.

Ses descriptions me donnaient envie de prendre le premier TGV en partance pour Rennes.

Des coups de foudre du même genre, j'en avais eu quelques uns durant ces dernières années. Avec Laurent, nous dépensions nos maigres économie en voyages imprévus.

Le jeudi soir, sur une idée de l'un ou de l'autre, nous décidions où nous passerions le week-end suivant. Ainsi, nous avions découvert au hasard de nos envies : Londres, Nice, Amsterdam, Bordeaux, Rome,…

A chaque fois, il récidivait : et si nous quittions Paris ? A croire qu'il s'y ennuyait. Son besoin de mouvement et de découverte était encore plus fort que pour moi.

Et à chaque fois je lui répétais : non Laurent, sois un peu réaliste. Tu ne vas pas quitter tout ce que tu viens de construire dans ta vie amicale et professionnelle.

En définitive, il ne m'avait pas écouté et j'avais cru percevoir une pointe de regret lors de notre dernière rencontre.

Pour ma part, lors de cette soirée passée à écouter Hélène, j'aurais tout quitté sur le champs si elle me l'avait demandé.

Je la sollicitais : il faudra que tu me fasses découvrir tout ça.

-          Avec grand plaisir. Mais Monsieur est tellement pris que le plus compliqué sera d'accorder nos agendas !

Nos verres vides, nous restions longuement à contempler les passants déambuler devant nous sur le trottoir.

-          Vendredi prochain, je suis invité chez Florent, un ami. C'est une surprise organisée par sa copine, Nathalie. Je souhaite lui acheter un CD. Tu m'accompagnes, on traverse chez Virgin ?

Bras dessus dessous, comme de vieux amoureux, nous traversons les Champs Elysées. En fait, nous aurions pu tous les deux dire "nos" Champs, tant nous aimions les Champs et cette merveilleuse ville de Paris.

Nous restâmes près de deux heures à flâner, à écouter différentes musiques sur les casques prévus à cet effet. Enfin, connaissant les goûts de Florent, j'arrêtais mon choix sur un double CD de best off de Mikaël Jackson.

Descendant en direction de la Concorde, nous passâmes devant le Queen, la célèbre boîte de nuit très parisienne et très en vogue actuellement.

Une irrésistible envie me poussa à entrer.

Questionnant Hélène :

-          Tu connais ?

-          Non, me répondît-elle, mais depuis le temps que j'en entends parler, j'aimerai bien découvrir cette ambiance, au moins une fois.

-          A cette heure-ci, c'est beaucoup trop tôt. Il faut venir vers une ou deux heures du matin. L'ambiance est alors délirante jusqu'à l'aube. Et d'ajouter : mais il est préférable de venir la semaine, l'ambiance est toute autre, plus conviviale que le week-end bien trop surpeuplé.

-          Tu sembles bien renseigné. Je croyais que c'est une boîte gay.

-         

Mon cri de réponse la cloua sur place : Non pas du tout !

Stupéfaite, elle me regarda comme interloquée.

Désireux de ne pas la fâcher et m'en voulant de m'être ainsi laissé emporter, j'ajoutais d'un ton mi-plaisantin : mais il est vrai que si la vue de deux garçons ou deux filles dansant ensemble ou s'embrassant te choque, ce n'est pas le lieu à choisir. Pour autant la population est très cosmopolite.

Hélène cru bon de me préciser :en effet ce type d'établissement n'est peut-être pas pour moi; je ne suis pas encore assez mûre.

Pour la première fois je sentis la présence d'un voile entre nous deux.

Heureusement, la vibration de mon téléphone mobile offrit un intermède bienvenu.

-          Hé Laurent.

M'avertissant de la signature de l'acte d'achat, cet après-midi même chez le notaire et avec son ami Rick, de la maison vue ensemble à San Francisco, il souhaitait que je revienne très rapidement.  Rick et lui avaient besoin de mes lumières sur leur aménagement. D'après Laurent, je les avais fait rêver, je devais maintenant concrétiser.

-          Je te fax deux ou trois propositions de journées disponibles demain de mon bureau. En ce moment je suis sur les Champs avec Hélène, la fille dont je t'ai parlé . Je n'ai pas mon agenda avec moi.

-          D'accord, mais fais vite mon Le Corbusier adoré.

-          Bisous mon p'tit loup, à plus.

Je perçus le regard interrogateur d'Hélène quant à de telles marques d'affection entre deux hommes, mais sans rien dire elle m'enlaça par la taille et nous poursuivîmes notre chemin.

Parvenant sur le bas des Champs Elysées, nous avons découvert une étonnante exposition de sculptures en pleine air.

Nous avions vu des affiches annonçant l'événement, mais ni l'un ni l'autre ne nous en souvenions.

Malgré l'heure tardive, nous en avons parcouru l'essentiel, des deux côtés de l'avenue.

Comme dans toutes les expositions, à mes yeux, il y avait des sculptures intéressantes et d'autres plus banales.

Néanmoins, le prestige du lieu, servant de cadre à celle-ci, rendait l'ensemble grandiose.

L'obélisque de la Concorde trônait en bout d'exposition, illuminé d'un bleu dur du plus bel effet.

L'ensemble était un enchantement visuel.

Que Paris était belle la nuit sous sa robe de lumière !

Une heure du matin approchait lorsque nous terminions notre visite et à cette heure-ci, Hélène présentait d'évident signes de fatigue.

Aussi, je lui proposais de la raccompagner en voiture jusqu'aux Buttes Chaumont, lieu de son pied à terre.

Elle me remercia et je m'obligeai de rajouter : en tout bien tout honneur.

En nous quittant, nous nous sommes promis de ne pas attendre si longtemps avant de nous revoir.

Un baiser fougueux, dans le hall de son immeuble, scella cette volonté commune.

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30 octobre 2006

Chapitre 5 - Un concours parmi tant d'autres

Une commune de la proche banlieue Sud de Paris avait organisé, quelques mois auparavant, une présélection d’architectes pour la participation à un concours. Il s’agissait de construire une école maternelle et primaire.

Comme d’habitude dans pareil cas, j’avais envoyé un dossier, mais sans grand espoir. En effet, il est toujours difficile de concourir sous cette forme, car le jury reçoit environ une centaine de dossiers, dont il ne doit retenir que trois ou cinq, selon le règlement. Les chances sont donc très faibles. Seuls les architectes les plus connus, ou ayant de sérieuses références sur un programme semblable, ont des chances d’être invités à concourir. Les relations aussi, hélas, peuvent avoir une influence.

Une visite au maire de la commune concernée, qui m’avait reçu courtoisement, mais sans plus, m’avait permis de présenter mes réalisations récentes. Avec un grand étonnement, mêlé d’une immense joie, j’appris que j’avais été retenu pour le tour final. C’est seulement lors de cette deuxième partie de la sélection que l’architecte a la possibilité de s’exprimer et de véhiculer ses idées et réflexions, sous la forme d’un projet, souvent accompagné d’une maquette.

Le programme joint à l’envoi était précis, trop précis, même. Certaines données n’offraient que peu de liberté. Il fallait s’adapter, rester libre dans la composition du plan et des espaces sans trop sortir du canevas imposé. Mais un concours doit rester un moment de pure et de vrai création architecturale, un moment d’intense plaisir pour son auteur. Et c’est le grand numéro du gros crayon, avec son crissement sur le papier calque, traçant des arabesques, des courbes et des contre-courbes, entrecoupées de gros traits rectilignes. Ainsi, au fil du rouleau de calque d’esquisse, on voit surgir du néant des traces, des arrangements, des agencements de pièces, et plus tard de volumes. Peu à peu, le puzzle des surfaces énoncées dans le programme se compose et trouve sa forme. Les gros traits de la première heure s’affinent, les espaces s’arrangent dans la tête du concepteur.

C’est à ce stade que les volumes doivent être perçus, même s’il n’y a encore que des esquisses couchées sur du papier. Souvent un petit croquis perspectif vient enrichir la réflexion, dans le but de concrétiser un volume. Alors, au fur et à mesure que le rouleau de calque défile et que la pointe du crayon s’use, le plan s’ébauche et trouve son ordonnancement.

Pour ce qui me concerne, le grand moment de création restait la nuit. Ou du moins, la soirée tardive. Un dîner léger me permettait de conserver un esprit clair. Un fond musical discret agrémentait la soirée commençante, et les heures passaient très vite. Car après m’être rendu sur place afin d’analyser le terrain et l’environnement immédiat, après avoir lu, relu et annoté le programme, les idées affluaient. Il fallait adopter un parti architectural. Devais-je composer et traduire le programme sous une certaine forme, ou une autre ? Et si je commençais mes recherches par un carré ? Ou alors un rectangle ? Et pourquoi pas un triangle et un cercle s’interpénétrant ? Mais généralement les architectes suivent une logique qui leur est propre. Une sorte de ligne de conduite, souvent issue d’une réflexion menée durant les études, et approfondie pour le diplôme.

Cette fois, pour ce concours en vue de la construction d’une école, les différentes esquisses me ramenaient toujours vers un jeu de carrés et de triangles. Lors de mon diplôme, j’avais exploré ces formes architecturales avec un certain succès, puisqu’un prix était venu récompenser ma recherche. Maintenant j’entendais bien, pour ce concours, examiner avec une plus grande acuité ce jeu de formes simples. Et c’est ainsi que mon projet s’orienta, presque naturellement, vers un plan d’école en forme de deux carrés se touchant par un sommet pour former un triangle résiduel, lequel délimitait tout aussi naturellement les préaux demandés. Les grandes lignes directrices de la composition architecturale étaient fixées. Pendant ces longues veillées solitaires, je buvais de nombreuses tasses de thé, pour conserver l’esprit lucide. Vers deux heures du matin, je quittais le bureau avec une esquisse tracée.

A ce stade de l’étude, j’aimais laisser reposer le projet pendant quelques jours, comme on laisserait décanter un bon vin avant un grand repas. Deux ou trois jours plus tard, l’esprit serein et reposé, je revenais vers le projet.

En quelques nuits, je réussissais à obtenir un avant-projet complet qui me satisfaisait et qui répondait au programme imposé. Je transmettais alors l’ensemble à mon dessinateur, qui aurait tout le loisir d’effectuer un rendu propre à l’ordinateur.

En moi-même, je comparais toujours la création d’une esquisse en réponse à un programme, à un acte d’amour physique. Tous les ingrédients étaient réunis : des préliminaires plus ou moins longs, en fonction des données du programme, une montée en tension avec une intensité grandissante, jusqu’à l’éclosion de l’idée, comme un orgasme. Le plaisir de voir traduit sur le papier mes idées et mes perspectives était infini.

Généralement, ces moments d’intense création s’accompagnaient d’angoisse, de doute, parfois de larmes et de désespoir. Mais quand enfin je pouvais clore le dossier avant de le rendre, la tension retombait, et restait la satisfaction d’avoir accompli quelque chose qui était fait et ne serait plus à faire. En attendant le projet suivant.


30 octobre 2006

Chapitre 6 - Pour Pâques

Avec Hélène, depuis nos premières rencontres, nous avions appris à nous connaître, à nous apprécier. Beaucoup trop souvent hors de la capitale, l’un comme l’autre, ces derniers temps, nous ne pouvions que nous entr’apercevoir, ce qui rendait l’envie et le désir encore plus forts.

Pâques approchant, je ne me voyais guère rester seul à Paris. Je supportais de plus en plus mal la solitude. Bien sûr, les amis étaient présents : Marc, Sébastien, ou un autre. Mais depuis que je connaissais Hélène, ils me paraissaient fades, insipides. Je ne pensais qu’à Hélène. Une délicieuse joie m’envahissait, chaque fois que je la rencontrais. Une joie chaude, montant du ventre à la tête et parcourrant tous mes membres. Je me sentais envahi d’un bien-être complet de mon corps et de mon âme. Tout naturellement, je proposai à Hélène de partager mon week-end pascal.

Pâques était, cette année-là, tardif dans la saison. Connaissant le goût d’Hélène pour la chaleur, je savais qu’elle ne me refuserait pas un week-end au bord de la Méditerranée.

Les kilomètres avalés à vitesse soutenue, nous arrivâmes au Grau du Roi, où j’avais réservé une chambre à l’Hôtel d’Angleterre. Simple mais coquette, la chambre donnait directement sur le port.

Hélas, le mauvais temps n’invitait pas au bronzage, et seuls les fruits de mer nous permirent d’humer l’air marin. En fait, tout était propice à la paresse et à l’amour. Une soirée en boîte de nuit à la Grande Motte, cette ville pyramidale sans âme et parcourue par de forts courants d’air, fut le seul moyen que nous trouvâmes pour nous dégourdir les jambes, sur des rythmes dance.

De retour sur Paris, nous décidâmes d’un commun accord de réitérer ces merveilleux moments pour le pont de l’Ascension, avec une météo plus clémente, du moins nous l’espérions.

Notre seconde escapade se présentait sous les meilleures auspices. Nous avions consulté, sur Internet, les services météorologiques, qui étaient unanimes : le soleil brillerait avec une réelle intensité, et la chaleur serait enfin au rendez-vous.

Nous retrouvâmes avec plaisir notre petit hôtel du Grau du Roi et notre plat favori : le plateau de fruits de mer, accompagné d’un vin rosé local.

Le lendemain, nous découvrions l’immensité des plages au pied du phare de l’Espinguette.

L’eau nous paraissait encore trop fraîche pour nous baigner, et nous nous sommes contentés, la première matinée, de longues promenades sur cette plage interminable, main dans la main, en philosophant sur la vie et ses aléas.

Au bout de quelques heures, nous nous sommes étendus sur le sable déjà chaud. Le soleil attisait mon désir. Je sentis comme un fourmillement en enduisant d’huile solaire le dos et les cuisses d’Hélène. Rapidement, nous sommes allés nager dans cette eau limpide de début de saison, et, au sortir de l’eau, j’ai pris plaisir à lécher son épaule salée.

Je ne réussissais qu’à rosir des fesses. Hélène, elle, arborait déjà un léger hâle continu, qui la rendait encore plus désirable. En cet instant, c’est de sa tendresse et de sa douceur dont j’avais envie, de sa main dans la mienne, de son corps brûlant contre le mien. Son bras passait sous le mien, sa tempe se posait contre mon épaule, pendant que le soleil décroissait sur l’horizon. Un frisson me parcourait le dos.

Comme des enfants ayant fait une bêtise, nous avons soudain détallé de la plage jusqu’à la voiture, pour filer jusqu’à l’hôtel. Pris d’une irrésistible envie, nous avons ôté nos vêtements, qui ont atterri sur le sol parqueté de la chambre, et nous nous sommes jetés sur le lit, où nos corps salés se sont enlacés frénétiquement.

30 octobre 2006

Chapitre 7 - Les amis

Ma rencontre avec Hélène m’avait, ainsi que je l’ai déjà dit, éloigné de mes amis. Même si n’en rencontrais encore quelques uns, de temps en temps, ce n’était plus comme avant.

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Avec les amis les plus proches et les plus intimes, j’organisais des soirées improvisées au dernier moment, auxquelles Hélène se joignait, en fonction de son propre emploi du temps. Des autres amis, je n’avais plus de nouvelles. Ils étaient repartis dans l’anonymat de ces endroits sordides où chacun se cherchait, où chacun s’épiait, mais où tous venaient à la recherche d’un plaisir éphémère et sans lendemain, et où les sentiments n’avaient pas leur place. Il est certain pourtant qu’à force de fréquenter ces lieux, une complicité naissait du plaisir de s’y retrouver pour discuter et ainsi rompre une solitude trop pesante, pour s’évader du quotidien et des difficultés de la vie. Ce genre d’établissements avaient toujours existé, de tous temps. Mais avec l’évolution des mœurs, ils n’étaient plus cachés. On peut même dire que certains avaient pignon sur rue.

On y trouvait tous les styles d’hommes, des jeunes aux plus âgés. Les contacts étaient plus simples qu’autrefois, et les jeunes n’avaient plus à vivre leurs pendants dans l’ombre, des penchants certes naturels, mais encore peu admis.

Suite à ces rencontres, quelques uns parvenaient à rester ensemble pendant un week-end, quelques semaines ou quelques mois, voire plusieurs années. C’est ce que j’avais vécu, avec Laurent, bien avant de rencontrer Hélène.

Le plaisir des hommes me manquait. Aussi, peu à peu, et malgré ma liaison avec celle que j’aimais sincèrement de tout mon être, je reprenais contact avec quelques anciennes rencontres. Sous le prétexte de travailler tard le soir pour des concours ne se préparant que dans l’extase de la nuit, -c’est ce que je disais à Hélène-, je retrouvais mes premières amours. Je redécouvrais l’ambivalence de mon corps et de mes pulsions sexuelles. Je ne pouvais pas m’en empêcher. C’était une drogue nécessaire à ma survie. Il fallait que je sente le corps chaud d’un homme contre le mien, que je goûte à la douceur de ses lèvres.

Un soir, alors que je remettais de l’ordre dans mon agenda électronique, du fait de la nouvelle numérotation à dix chiffres, je tombai sur le numéro de Loïc. Malgré l’heure déjà tardive, je m’enhardis à composer son numéro, et, d’un coup, tout me revint en mémoire. De splendides clichés m’apparaissaient : son humour décapant, le flash de ses yeux saphir, l’insistance de son regard lors de notre première rencontre. C’était à l’occasion de l’anniversaire d’Elodie, une amie commune. Alors que nous étions assis, Loïc et moi, côte à côte  sur un des canapés de l’immense appartement d’Elodie, donnant sur le Parc Montsouris, la jambe de Loïc était venue se coller contre la mienne. Je n’avais pas retiré la mienne. Nos cuisses étaient restées collées ainsi pendant une bonne partie de la soirée.

-          Allo, Loïc ?

-          Oui…

Je tressaillis, en entendant sa voix.

-          Ici c’est Bertrand.

Loïc était le premier garçon pour qui j’avais éprouvé un sentiment sincère et durable. Je revoyais son corps élancé, ses cheveux bruns coupés courts, les traits fins et réguliers de son visage, ses yeux rieurs. Ingénieur de formation, un stage de longue durée à l’étranger l’avait séparé de moi, après quelques mois de colocation.

Loïc était seul, ce soir-là. Après l’échange de banalités d’usage, il m’invita à venir boire un verre chez lui, rue de Seine. Nous avions tant à nous raconter !

En riant, comme à son  habitude, il me dit :

-          La nuit n’y suffira pas !

A mon premier coup de sonnette, il apparut dans l’embrasure de la porte, sobrement vêtu d’un 501 délavé et d’une chemisette à carreaux. Il était toujours aussi beau.

Mais ce n’était pas l’essentiel.

Il y avait autre chose, qui émanait de sa personne. Quelque chose qui allait bien au-delà de la beauté. Il était lumineux, pétillant et merveilleux. A côté de lui, les autres hommes paraissaient ternes.

Loïc vivait entouré de beaux livres, dans un appartement avec du parquet et des plantes vertes. La musique, du raï, était douce.

La soirée aussi fut douce. Les alcools se succédaient et Laurent me pressa de rester jusqu’au lendemain.

-          J’ai peur, seul la nuit, dit-il en souriant.

Au petit matin, au moment de nous séparer pour nous rendre chacun à notre travail, je lui demandai :

La nuit a-t-elle suffi, à tout raconter ?

30 octobre 2006

Chapitre 8 - Côte sauvage

L’été et les vacances approchaient à grands pas, et, bien sûr, je n’avais rien prévu. Même si les projets dont j’avais la charge tournaient au ralenti pendant l’été, je ne pouvais que rarement m’absenter plus d’une semaine.

Et si j’en avais eu la possibilité, en aurais-je eu l’envie ? Rien n’était moins sûr. Me faire rôtir côté pile puis côté face sur une plage bondée n’était pas pour moi. Je préférais les escapades de quelques jours venant rythmer les mois tout au long de l’année.

Hélène m’avait beaucoup parlé de la beauté sauvage de sa chère Bretagne. Sans conteste, l’attrait de cette contrée vient de sa côte : ici élevée et découpée dans le granit rose ou gris, là bordée de plages où le sable joue avec le flux et le reflux des marées.

C’est là que les Celtes, chassés toujours plus vers l’Ouest, trouvèrent le but de leur voyage, dans ce pays de bout du monde, qui leur ressemblait.

Il eût été inconcevable que je me rende en Bretagne sans en prévenir Hélène. Le pont du 14 juillet approchant, j’en saisis le prétexte pour lui faire part de mon projet. Hélène avait, pour la journée du 14, une réunion familiale prévue de longue date. Par contre, le lendemain, nous aurions tout le loisir de visiter la ville ensemble.

Mon programme se trouvait donc modifié. Redoutant la solitude par-dessus tout, à plus forte raison un jour férié, il me fallait trouver un compagnon. Je disposais là de l’occasion rêvée de reprendre contact avec Loïc.

Il n’avait rien de prévu pour le 14 juillet. Curieux de connaître cette Hélène dont je lui avais tant vanté la beauté, il accepté ma proposition de passer le week-end en Bretagne. La perspective de sa présence à mes côtés me ravit et me rassura.

Nous partîmes dans son coupé roadster SLK Mercedes, dont il m’invita à partager la conduite, pour que je puisse goûter au plaisir de conduire les cheveux au vent. Plutôt que d’emprunter l’autoroute, surchargée en ce long week-end, nous décidâmes de suivre les routes secondaires.

Loïc, qui connaissait ma passion pour la compétition automobile, ne fut pas surpris de m’entendre lui demander de faire un détour à hauteur du Mans, afin de rouler sur le bitume de la célèbre ligne droite des Hunaudières. J’étais enthousiaste :

-          Imagine les pilots, pendant les 24 heures, à presque 400 à l’heure !

-          J’imagine bien, dit Loïc. D’accord pour Le Mans. Mais ensuite on filera sur Quiberon. J’ai réservé une chambre au Domaine de Rochevilaine. C’est une amie qui m’en a parlé. C’est face à l’Océan. Un étape gastronomique régionale.

A l’approche du Mans, Loïc me céda le volant, comme promis. Je le reconnaissais bien dans ce geste, plein de gentillesse et d’affection à mon égard.

Nous avions toujours vécu d’excellents moments ensemble. Quand je m’étais installé à mon propre compte, Loïc m’avait apporté une aide financière appréciable, en complément de celle que je recevais de mes parents, en plus du prêt bancaire. De plus, Loïc m’avait quasiment logé et nourri pendant une année. Dans une chambre de son appartement, j’avais installé ma planche à dessin et mon ordinateur. Ce fut mon premier bureau.

Etre aux côtés de Loïc dans cette escapade en Bretagne m’enchantait. J’était dans un autre monde, où tout n’était que grâce, beauté et douceur.

Après une excitante montée de mon adrénaline dans la fameuse ligne droit du Mans, le reste du voyage se passa plus tranquillement, d’autant que la circulation se faisait plus dense, à mesure que nous approchions de la côte. A la fin de la journée, nous découvrions le cadre grandiose, au bout de la presqu’île de Quiberon, et face à la tumultueuse beauté de l’Océan, des manoirs anciens du Domaine de Rochevilaine.

Notre chambre était d’un goût très cosy, très anglais. Le vaste lit était recouvert d’un tissu de patchwork aux couleurs vives. La piscine, de forme trapézoïdale, bordée de confortables chaises longues, nous offrit une dernière détente, face à l’Océan. Après un dîner enchanteur, vint le moment du coucher. Impression indescriptible de constater que toute la fatigue accumulée ces dernières semaines s’estompait comme par magie.

Vers quatre heures du matin, la fraîcheur océane m’obligea à ramener la couverture de laine par-dessus le drap de coton fleuri. De l’index, j’effleurai ses douces lèvres. Lors de cette année que nous avions passée dans le même appartement, et compte tenu de l’étroitesse de son logement à l’époque, nous avions partagé le même lit et pris l’habitude de nous endormir main dans la main, l’un contre l’autre. Loïc se plaisir à dire :

-          C’est pour sceller notre amitié !

Ces souvenirs me revenaient à la mémoire lorsque je pris, en ce matin naissant, sa main dans la mienne en rapprochant mon corps du sien, avant de replonger doucement dans le sommeil.

C’est le toc-toc de la propriétaire des lieux, apportant le petit déjeuner, qui nous fit émerger de nos songes. D’un ton amusé, elle nous souhaita la bienvenue.

-          Nous avons un grand beau temps, aujourd’hui, dit-elle. C’est l’idéal pour profiter de la région.

En fait de petit déjeuner, ce fut un pantagruélique repas. Une fois repus, nous repoussâmes nos deux plateaux et tombâmes dans les bras l’un de l’autre, pour de tendres câlins.

Une heure plus tard, je rejetais le drap au pied du lit :

-          Loïc, il est déjà dix heures ! Je te rappelle que nous sommes venus dans cette contrée lointaine pour visiter, pas pour mollir !

L’après-midi, nous avons joué à cache-cache parmi les menhirs de Carnac et visité le tumulus Saint-Michel et ses chambres funéraires, avant de refaire route vers Quiberon.

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Après une visite de la ville et de son port, et une longue balade le long de la côte sauvage, sur les falaises déchiquetées, nous étions de retour à notre hôtel et installés à nouveau au bord de la piscine, face à l’immensité bleue-verte de l’Océan.

Des voiles de toutes les couleurs animaient la ligne d’horizon. Je me suis pris à rêver de voyages et d’Amérique.

Après un dîner à base de poisson et de crustacés, Loïc tint à m’offrir le champagne. Je me laissai faire sans qu’il eut besoin d’insister. C’est la tête un peu lourde que nous avons regagné notre chambre pour une douce nuit.

Au matin, un bruit que je pus identifier, le claquement d’une porte, peut-être, m’arracha à un rêve plein de couleurs et de sensations.

Dans mon rêve, je marchais sur une longue plage de sable fin brûlée par un soleil impitoyable. Le ciel était blanc et vide. Il en tombait une lumière chaude, insupportable, qui descendait le long de la falaise et venait faire briller chaque grain de sable. L’air vibrait, mais rien ne bougeait. J’entendis alors comme un long cheminement d’insectes et me retrouvai dans un endroit où la terre était rouge et l’herbe sèche. C’était le Massif des Maures.

Des guêpes folles dansaient dans les rayons du soleil. Je pensais que midi ne finirait jamais, quand soudain, me retrouvant sans transition sur un éperon rocheux d’où je dominais une ville que je pensai être Sainte-Maxime, ou les Issambres, ou peut-être Saint-Tropez, je vis que la lumière changeait peu à peu. La brise du soir se levait. La ville allumait ses feux pour la nuit.

Emergeant me mon sommeil, je ne savais plus où j’étais, ni dans quel pays, ni dans quelle chambre. La pression du corps de Loïc contre le mien me ramena à la réalité. J’étais bien, près de lui. Je ne voulais pas brusquer le cours du temps. Il se réveillait.

Il approcha ses lèvres des miennes. Mes mains commencèrent à s’activer sur sa peau hâlée.

Deux heures plus tard, nous roulions vers Rennes, cheveux au vent. J’avais appelé Hélène pour l’avertir de notre arrivée.

Elle nous avait donné rendez-vous devant le Parlement de Bretagne, ancien palais de justice construit au début du XVIIème siècle.

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Il avait brûlé récemment, et sa reconstruction était en cours. Hélène nous fit visiter la ville et ses bâtisses à colombage.

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A l’heure du dîner, elle nous proposa un repas chez ses parents, qu’elle avait prévenus de notre passage. La famille d’Hélène, bien qu’économe, avait le geste généreux et le sens de l’hospitalité.

Au moment du départ, il y avait comme un reproche sur le visage d’Hélène.

-          Nous nous sommes à peine parlé, aujourd’hui, dit-elle. Tu avais l’air distant, préoccupé.

-          Les soucis du travail, Hélène. Tu sais, j’ai du mal à déconnecter.

Elle m’entraîna à l’écart et noua ses bras autour de mon cou.

-          Ton ami est très sympa, dit-elle. Et très beau. On dirait un top model ! Il doit faire des ravages, dans les cœurs des filles.

Venant d’Hélène, le compliment était sincère, à peine ironique.

-          J’espère que vous avez été sage hier soir, dit-elle. Les occasions ne manquent pas, en été.

-          Promis, mon amour. Tu me connais, tu es la seule fille que j’aime, et tu demeureras l’unique.

Je lui dis que nous avions passé deux soirées tranquilles à l’hôtel, au bord de la piscine, ce qui sembla la rassurer. Je lui dis de remercier ses parents pour le délicieux dîner. Pendant que nous nous étreignions pour un tendre baiser sur le perron, mon regard croisa celui de Loïc, qui patientait au volant de sa voiture. Il nous regardait en souriant.

Après un dernier baiser à Hélène, je montai dans la voiture. Loïc démarra, et, tous les deux, nous agitâmes nos mains en guise d’adieu. Au premier feu, Loïc soudain éclata de rire.

-          Sympa, ta copine ! Tu comptes l’épouser ?

-          Peut-être, lui répondis-je, l’air volontairement évasif. Tu serais mon témoin.

Loïc me dévisagea :

-          Quand tu auras un moment, tu m’expliquera ce que tu désires, au juste. Je ne te comprends plus du tout. Je te savais imprévisible, mais là, en ce moment, à quoi tu joues ? Est-ce que tu le sais, toi-même, d’ailleurs ?

-          Je te raconterai tout ça une prochaine nuit.

Le feu passa au vert et Loïc redémarra. Je redevins plus sérieux.

-          C’est vrai, je ne sais plus très bien où j’en suis. J’aime sincèrement et de tout mon cœur une fille adorable, et je couche avec un garçon !

Loïc conduisait le visage sombre. Le voyage se poursuivit ainsi, dans un quasi silence, lui dans ses pensées, moi dans les miennes.

A Paris, il me déposa au pied de mon immeuble, et je dus rompre le silence, devenu plus que pesant.

-          J’ai passé un bon week-end, Loïc, merci d’avoir accepté de m’accompagner.

-          Tout le plaisir était pour moi. Merci à toi, dit-il. Mais j’ai envie de te revoir, Bertrand… si tu le désires, toi aussi.

J’approchai  mes lèvres des siennes et lui répondis par un long baiser. Au moment de saisir mon bagage dans le minuscule coffre arrière, je promis à Loïc de le rappeler très prochainement. Il démarra en trombe, et je restai debout sur le trottoir, mon sac de voyage à la main, incapable du moindre mouvement. Je me demandai ce que je cherchais vraiment, ce que je désirais. Si je continuais à jouer ainsi au chat et à la souris avec Hélène et avec Loïc, je les perdrais tous les deux. Je me retrouverais alors seul, abandonné, et c’est ce que je redoutais par-dessus tout.

La rumeur du boulevard Saint-Michel me ramena à la réalité, et je m’élançai dans l’escalier de mon immeuble. Une fois dans l’appartement, après avoir posé mon sac, je m’affalai sur mon lit. La soirée était très chaude, l’air semblait manquer, dans Paris.

La ville suait, dans la nuit étouffante. Je me levai pour prendre un bière et la boire à la rambarde de la fenêtre. La lune brillait dans la nuit claire d’été. J’entendais au loin le brouhaha des boulevards. Les grands cafés devaient être bondés, laissant déborder sur les trottoirs, dans la lumière blafarde de l’éclairage public et des néons publicitaires, une foule de parisiens et de touristes transpirants et assoiffés, tout comme moi.

La soif me tenait. Une soif que rien ne semblait pouvoir étancher, comme trop souvent lors des chauds étés citadins.

Après cette première bière, j’en ouvris une seconde, et m’allongeai sur mon lit, tellement la chaleur était intense. Un orage se préparait, à coup sûr.

Le sommeil, pourtant, finit par venir, sans prévenir, au moment où je me disais qu’il fallait que je remette un peu d’ordre dans mes idées, que je réorganise mes envies et mes pensées amoureuses, si c’était possible.

30 octobre 2006

Chapitre 9 - Elle et eux

Souvent, nous restions blottis l’un contre l’autre, chez moi, plus rarement chez elle. Et parfois, au cours de notre conversation, je l’entendais me dire :

-          Tu vois, Bertrand, ça me rappelle…

Je n’avais alors plus qu’à écouter, et Hélène se mettait à dérouler pour moi un épisode de sa vie.

Bien que de nature pudique, elle s’enhardissait maintenant à se dévoiler de plus en plus, au fil du temps.

Un dimanche après-midi gris et pluvieux, j’étais assis au coin du canapé, appuyé contre l’accoudoir. Hélène, allongée, laissait reposer sa tête sur ma cuisse. D’une main, je lui caressais les cheveux, de l’autre j’effleurais sa cuisse musclée, ce qui, immanquablement, lui donnait la chair de poule. Au hasard de mes pensées, j’évoquai les Landes et l’envie que j’avais de m’y rendre. J’y pensais à cause d’une carte postale qu’un ami m’avait envoyée d’Hossegor.

-          J’ai des origines dans cette région, enfin, un peu plus au Sud.

-          Je te croyais bretonne…

-          Je suis née à Rennes, oui, mais ma mère est alsacienne, et mon père est du Béarn, du côté de Pau.

Les deux guerres avaient décimé la famille maternelle d’Hélène, et c’est le plus souvent dans sa famille paternelle que se passaient les vacances d’été, dans la maison familiale de Saint-Jean de Luz.

Hélène m’expliqua que son grand-père, haut fonctionnaire dans la cité natale d’Henri IV, avait fait construire, dans les années trente, une coquette maison sur un petit terrain situé en front de mer.

La bâtisse offrait, au rez-de-chaussée, outre la cuisine, une spacieuse salle à manger et un salon avec une alcôve servant de bibliothèque. A l’étage, il y avait quatre chambres et un petit cabinet de toilette, luxe rare à l’époque. C’était dans cette demeure qu’Hélène avait entendu de son grand-père, et à maintes reprises, le récit de l’inauguration du musée de la mer de Biarritz, en 1935.

-          Il était fier, dit Hélène, d’égrener la liste des personnalités présentes, tandis que lui-même occupait une place de choix, du fait de sa fonction à la Préfecture de Pau.

Et elle continua en me racontant ses souvenirs de vacances mi-béarnaises mi basques. Elle se remémorait plus particulièrement les dimanches de la belle saison.

Après la messe du matin et le traditionnel confit de canard accompagné de pommes de terre sautées et persillées, on sortait dans le jardin pour l’après-midi. C’était le moment où Alfred, le grand-père, sortait son étui de papier Job et prenait une pincée de tabac d’un petit paquet gris, pour rouler tranquillement une cigarette. Marie, sa femme, reprenait un tricot en cours, écharpe multicolore ou pull torsadé.

Quand à Hélène et ses frères et sœurs, ils traversaient bien vite la rue pour aller jouer sur la plage.

Quand les parents d’Hélène étaient présents, les deux premières semaines d’août, la famille partait à bord de la vieille Citroën passer la journée en Espagne, à Ondarroa, un petit village côtier distant d’une centaine de kilomètres, où un discrète plage de sable fin semblait n’attendre qu’eux.

J’étais impressionné par la précision avec laquelle Hélène se souvenait de ces rituels familiaux.

-          On déchargeait la malle d’osier du coffre de la voiture et on l’installait à l’ombre de deux parasols rayés jaune et blanc, que mon grand-père plantait dans le sol. Et puis on faisait honneur au pique-nique préparé par ma grand-mère. Il y avait toujours des rillettes de foie de canard faites maison, et puis une bouteille de vin rosé pour les adultes. Il fallait respecter scrupuleusement le temps de la digestion, avant de pouvoir se baigner. Et c’est jusqu’au soir que nous restions jouer dans l’eau, sauter par-dessus les vagues, plonger…

En écoutant Hélène, j’imaginais que les garçons de son âge devaient rôder autour d’elle, quand elle disputait un match de volley, sur la plage. Sa taille élancée l’avantageait, pour les montées au filet. Et les filles devaient être envieuses de sa beauté et de sa peau qui prenait vite une couleur caramel.

Une famille unie, des frères et sœurs avec qui partager complicité et jeux : pour moi, qui était fils unique, c’était un autre monde. Je comprenais qu’Hélène soit nostalgique de ce temps-là.

-          C’était le bon temps… Enfin, c’était un autre temps, dit-elle. Tout a bien changé, depuis que grand-papa est mort.

Délicatement, je me levai du canapé en soulevant sa tête de ma cuisse, pour la reposer sur un coussin de coton bleu. De la cuisine, je rapportai un plateau avec du thé au jasmin et deux tartelettes aux fraises, les fruits préférés d’Hélène, achetés le matin-même à la pâtisserie du coin de la rue.

-          Excuse-moi, Bertrand, de m’épancher ainsi, toutes ces histoires ne doivent guère t’intéresser.

Elle me paraissait triste et fatiguée, tout-à-coup. Je m’empressai de la rassurer :

-          Non, détrompe-toi. Nous avons tous parfois la nostalgie des bons moments du passé. Paradoxalement, cela engendre souvent des moments de cafard, quand on les revit ainsi en pensée.

Devant le regard dubitatif d’Hélène, je lui expliquai ma théorie :

-          Pour moi, il y a deux sortes de cafard, l’un naissant quand on est un peu fatigué ou que l’on rencontre des ennuis sérieux, l’autre moins explicable, mais sacrément plus dur. Celui-là vient sans raison apparente, tout simplement parce qu’on a un peu trop tiré sur la corde, et encore… Il frappe d’autant plus fort qu’on se croyait costaud, si tu vois ce que je veux dire…

Je me croyais obligé de conseiller Hélène :

-          Je sais que c’est plus facile à dire qu’à faire, mais essaie de ralentir un peu, au niveau de ton travail. Apprends à mieux déléguer. Avec tes collègues, vous formez une équipe. Même si tu est responsable du projet, je n’es pas seule pour élaborer ces nouveaux produits. Ménage-toi.

Hélène allait me répondre, quand la sonnerie du téléphone retentit. Comme beaucoup de gens, j’avais pris l’habitude de laisser mon répondeur branché, même quand j’étais présent. Et c’est ainsi qu’au bout de quelques sonneries, la voix de mon ami Laurent retentit dans l’appartement. Il était à Londres, où il assistait à un congrès médical. Mais la durée de son séjour ne lui permettait pas, même avec le Shuttle, la nouvelle liaison ferroviaire sous la Manche, de faire un saut jusqu’à Paris.

-          Il faut qu’on définisse la décoration avec toi, disait-il. Rick te fait toute confiance. Tu lui as beaucoup plu… professionnellement, je veux dire. On a besoin de tes lumières et de tes compétences sur une foule de détails architecturaux et décoratifs.

Entendre la voix de Laurent, alors que j’étais avec Hélène, m’avait cloué sur place. Et avant que j’aie pu décrocher le combiné, Laurent concluait déjà en lançant :

-          Gros bisous, mon Le Corbusier adoré.

Il raccrocha sans que j’aie pu faire un geste vers le téléphone.

-          Il t’aime beaucoup, ton ami Laurent, dit Hélène.

Bien que m’attendant  ce genre de remarque, je ne pus que bafouiller :

-          Euh, oui… enfin, je ne sais pas trop.

Je me ressaisis en tentant de faire diversion, maladroitement, sur un ton que je voulais humoristique.

-          Le verbe « aimer », en Français, est difficile à interpréter. Bertrand aime bien la mousse au chocolat, Hélène aine bien les fraises. Bertrand aime bien Hélène, et… et ben oui, Laurent aime bien Bertrand. Enfin, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, puisque tout le monde s’aime bien.

-          Il y a une différence entre « aimer bien » et « aimer », dit Hélène, l’air songeur.

Je redevins sérieux :

-          Tu sais, Laurent et moi, nous avons vécu tellement de choses ensemble ! ça crée des liens indestructibles, un peu comme toi avec tes frères et sœurs, des liens qui résistent au temps et à la distance..

Hélène, me semblait-il, devenait soupçonneuse :

-          Tu m’as dit que vous aviez partagé le même appartement, quand vous étiez étudiants ?

-          Oui, pendant presque quatre ans. Et avec pas mal de heurts et d’accrochages entre nous.

Je mentais. En fait, la réalité était tout autre. Ce fut quatre années d’un pu bonheur, et le départ de Laurent avait été douloureux pour moi, une véritable déchirure. La plaie avait mis du temps à se cicatriser.

J’aurais dû profiter des questions d’Hélène, qui devenaient plus précises, pour lui dire la vérité. Mais je n’en avais pas la force. Et je ne la sentais pas prête à l’entendre.

Elle poursuivait son inquisition :

-          Tu as beaucoup d’amis, dans ton entourage. Mais quand il est question de Laurent, tu as un ton différent, un peu comme quand il s’agit de Loïc, d’ailleurs. Je l’ai remarqué l’autre soir, à Rennes, chez mes parents. Et je crois que tu serais capable de tout laisser tomber, si Laurent t’annonçait au téléphone un ennui, une catastrophe l’atteignant directement. Tu serais capable de filer directement à l’aéroport pour prendre le premier avion en partance pour San Francisco.

Hélène n’avait pas tort. Je ne voyais rien à ajouter. En désespoir de cause, je dis :

-          Tout est inconscient, je suppose… enfin, je ne sais pas.

Encore une fois, je laissais planer le doute. Mais comment aller plus avant ?

En dégustant la dernière bouchée de tartelette aux fraises, des images du dernier voyage que j’avais fait en compagnie de Laurent me revinrent à l’esprit.

Il y avait deux ans de cela, peu avant son départ pour les Etats-Unis. Sur un coup de tête, comme d’habitude, nous étions partis. Pour la Grèce, cette fois, Zakynthos, une île peu connue de la mer Ionienne.

C’était la mi-mai. Je revois les rosiers exubérants aux senteurs exaltantes, les jacinthes sauvages, les tapis de violettes, et cette eau couleur émeraude qui effleurait le sable immaculé de ce début de la belle saison. Nous avions repéré une crique de sable fin, où nous allions souvent, enlacés par la taille, en suivant un chemin parfumé, à travers une colline plantée d’oliviers, d’amandiers et de figuiers.

Nous partagions notre temps entre la plage et notre chambre chez l’habitant, dans une modeste maison à toit-terrasse dominant la côte sauvage, où les vagues déferlaient. Depuis l’unique fenêtre de notre chambre, la mer apparaissait sous la forme d’un petit triangle bleu entre deux maisonnettes.

Les journées se déroulaient entre tendresse et douceur, chacun cherchant à faire plaisir à l’autre. Nos seules sorties, à part la plage, nous menaient sur la place du village, dans une taverne que nous appelions notre cantine. Nous y prenions tous nos repas. Après un ouzo rafraîchissant, parfois offert par le patron, nous choisissions notre menu en soulevant les lourds couvercles des marmites. Aux tables voisines, les habitués buvaient à petites gorgées le café lourd de marc et de sucre.

Les paysages de Zakynthos nous envoûtaient. Ils étaient comme irréels, surgis d’un autre monde, un monde de quiétude, de douceur, de bien-être intemporel. Si des impératifs ne nous appelaient pas en France, nous serions restés des semaines sur cette île. En cas quatre jours, nous n’avons vu de la Grèce que le Parthénon d’Athènes, en une visite éclair, avant de prendre l’avion du retour.

Ma tartelette aux fraises terminée, je continuais à lécher ma fourchette à gâteau, d’où le goût sucré avait depuis longtemps disparu.

Hélène me regardait.

-          A quoi tu penses ?

-          Oh, à rien…

J’avais sursauté. Je m’en voulais de m’être fait piéger par la nostalgie.

En fait, mes sentiments pour Hélène se contrariaient. Tout s’était déroulé si vite, depuis notre première rencontre. C’était comme si j’étais pris dans le tourbillon sans fin d’un cyclone.

Tout avait basculé si vite, sans que j’aie le temps de réfléchir. Pour la première fois de ma vie, j’étais amoureux d’une fille, mais sans que le désir de mon corps suive celui de mon cœur. Etait-ce le même amour que celui que j’avais éprouvé auparavant pour Laurent, et que j’éprouvais à présent pour Loïc ? Au fond de moi, le doute subsistait.

Y aurait-il deux sortes d’amour, l’amour pour les garçons, et l’amour pour les filles ? Ces derniers temps, ces questions me revenaient souvent à l’esprit, restant sans réponse.

Je pensais à Hélène, et je pensais à Loïc, retrouvé depuis peu. Je me sentais si bien, en leur présence.

Une fois l’un, une fois l’autre. Sans doute, je me jouais d’eux, mais la peu de décevoir l’un ou l’autre me paralysait dans ma prise de décision. Le soir venu, seul dans mon lit, les angoisses, les doutes, l’amertume, et souvent la nostalgie, prenaient des proportions démesurées dans le noir.

Hélène, encore une fois, me sortit de ma réflexion :

-          Je t’invite au cinéma, dit-elle, en me tendant le dernier Pariscope. Choisis un film. C’est toit qui décide, ce soir.

Un peu par provocation, je lui proposai « Philadelphia », avec Tom Hanks, un film grave sur l’amour entre deux hommes, avec le sida en toile de fond. Je me disais qu’après le fils, je pourrais aborder plus facilement le problème de l’homosexualité. Il fallait un élément détonateur, extérieur à nous-deux, pour déclencher une discussion.

Hélène accueilli ma proposition avec enthousiasme. Elle avait lu d’excellentes critiques sur ce film.

Après le film, je proposai à Hélène de la raccompagner. Après avoir remonté les Champs Elysée jusqu’à l’Arc de Triomphe, nous prîmes le métro direction Jaurès. Sitôt assise, Hélène m’indiqua, d’un mouvement de tête, deux garçons dont l’un était nettement maniéré, efféminé.

-          Tu vois, Bertrand, j’ai déjà eu l’occasion de dîner avec un couple homosexuel, chez mon amie Stéphanie, et pourtant, je n’arrive pas à m’y faire.

-          Tu ne m’en avais jamais parlé…

-          C’était juste avant notre rencontre. Je ne te savais pas sensible à ce genre de sujets.

Du tac au tac, je répondis :

-          Tu sais, faut pas croire, je suis un homme moderne, ouvert à tous les sujets, et d’une grande sensibilité, même je ne le montre pas toujours.

J’allais en rajouter encore, sur le mode un peu ironique, quand Hélène dit, poursuivant ses pensées :

-          Cette soirée chez Stéphanie a été la pire de ma vie, je crois. Ils ne parlaient que de leurs sorties dans les bars gays et se faisaient, toutes les cinq secondes, des bisous dans le cou. Quelle tristesse !

Décontenancé, je ne trouvais plus grand chose à dire.

-          Beaucoup d’entre eux vivent en circuit fermé, tu sais, en ghetto. Ils aiment faire la fête, danser jusqu’à l’aube, dans des endroits où ils rencontrent des tas d’amis.

Hélène avait la mine sombre.

-          Hum, des amis…

Le métro arrivait à la station Jaurès. Je crus bon de dire, pour clore le sujet :

-          Tu n’as sans doute pas rencontré le meilleur exemple. Tu sais, pour certains, tu ne t’apercevrais de rien, en les croisant dans la rue. Ils sont comme Monsieur Tout-le-Monde.

En moi-même, je rajoutait : ils sont comme moi.

Il y avait comme un voile sur le visage d’Hélène, quand je la quittai au pied de son immeuble.

Sur le chemin du retour, je fis une halte dans un bar du Marais, où je savais pouvoir retrouver d’anciennes connaissances. Et en effet, accoudé au comptoir, je reconnus Hervé, une chope de bière à demi vide devant lui. Il était vêtu d’un simple tee-shirt blanc, qui contrastait avec son pantalon sombre. L’ensemble soulignait un corps étonnamment fin, mais néanmoins musclé, sans un gramme de graisse. Il y avait plus de six mois que nous ne nous étions vus.

Après les banalités des retrouvailles, nous terminâmes la nuit ensemble, chez lui, comme si nous nous attendions l’un l’autre, ce soir-là.

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Hervé vivait seul. Son dernier petit ami l’avait quitté trois semaines plus tôt. Il y avait incompatibilité d’humeur entre eux. Mais la tristesse se lisait sur le visage d’Hervé, et ses traits tirés exprimaient une réelle déception. Il me dit combien il était accablé de se retrouver, tous les soirs, face à une chaise vide, quand il rentrait du travail.

Il en est souvent ainsi des garçons : entourés de nombreux amis, mais seuls dans leur cœur. Aussi, afin d’éviter de sombrer dans les idées noires et le désespoir, beaucoup tentent la colocation, sans pour autant éprouver des sentiments pour le partenaire. Chacun vit sa vie de son côté, mais sans la solitude du quotidien, sûr de pouvoir trouver une épaule où poser sa tête en cas de difficultés passagères, même sentimentales. C’était le mode de vie d’Hervé, depuis que je le connaissais. Mais visiblement, son dernier colocataire lui avait tourné la tête.

Au moment de quitter Hervé, au petit matin, je crus bon de le rassurer :

- Je ne m’inquiète pas pour toi. Mignon comme tu es, tu retrouveras vite quelqu’un d’autre ! Et si tu as un coup de cafard, n’hésite pas, tu m’appelle, et je viendrai de réconforter.

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